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I. Nature et nécessité de la Foi

 

En attendant de contempler Dieu « tel qu’il est », et pour tendre à cette vision face à face qui sera sa finalité, l’homme dès ici-bas, capte avidement tout ce qui lui révèle Dieu, et s’évertue à Le connaître chaque jour davantage, à discerner, surtout plus clairement les voies qui mènent à Lui. C’est la Foi, connaissance toujours plus lointaine et cependant progressive : d’abord simple croyance à un témoignage, à ce que Dieu dit ou fait dire de Lui-même, et des moyens propres à conduire vers Lui, puis conviction plus personnelle et plus approfondie.

 

Connaître le Dieu unique. Comment y parvenir ? « Personne, en dehors du Père, ne sait ce qu’est le Fils ; comme personne autre que le Fils ne connait le Père, à moins qu’il ne plaise au Fils de le révéler ! ». C’est dire que nous sommes condamnés à ignorer la vie intime de Dieu si son Verbe, expression totale de sa Pensée, ne vient nous en instruire. Lui seul peut en parler en parfaite connaissance de cause.

 

1. Fondement de la Foi

 

Le Fils de Dieu est venu en ce monde tout exprès pour apporter la lumière sur ce point (Jean, I, 9-14). S’Il expose les mystères divins, par définition inaccessibles aux sens et dépassant les capacités de la raison humaine, le Fils de Dieu ne pourra procéder que par affirmations et exiger un acquiescement confiant. Les hommes devront croire sans voir et sans chercher à tout comprendre.

 

Croire c’est quand même être informé ; c’est même une conviction profonde.

La croyance se fonde sur la seule confiance au témoignage de quelqu’un. Qu’on ne crie pas à l’abdication de la raison humaine : en effet, l’historien ou le scientifique procède ainsi : l’enfant ou l’homme qui ne connait rien apprend d’eux simplement parce qu’ils font confiance à ceux qui leur parlent. Deux conditions suffisent à fonder cette confiance : la compétence et la loyauté de ceux qui enseignent.

 

Puisque la Foi n’est autre chose que l’adhésion à la Vérité divine révélée par Dieu, une seule question se pose : « est-il bien sûr que Dieu ait parlé aux hommes » ? Le miracle est la grande signature de Dieu. De l’étonnement à l’admiration, puis de l’admiration à la confiance ; enfin de la confiance à la conviction, tels sont les stades que la raison humaine parcourt.

 

Ainsi, c’est parce qu’Il fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et sous les yeux du peuple que Jésus de Nazareth jouit d’un si grand crédit. Il eut préféré sans doute cette confiance franche et spontanée que l’on accorde si souvent à un homme sans autre argument que sa probité intellectuelle et morale. N’empêche que, connaissant cet impérieux besoin de signes qui caractérise l’intelligence humaine, le Christ eut soin de conférer à ses Apôtres, qui, après Lui et en Son nom, auraient mission de répandre la Foi, le pouvoir de réitérer et multiplier ses propres miracles, voire d’en accomplir de plus surprenants.

 

La confiance en Dieu et en ses messagers dûment investis et reconnus authentiques, tel est le fondement de la Foi.

2. L’objet de la Foi

 

Un Dieu, en trois Personnes distinctes, pourtant égales et consubstantielles, un Dieu dont la Bonté domine tous ses attributs ; un Dieu proche de chacun de nous, duquel nous tenons « la vie, le mouvement et l’être » ; un Dieu qui connaît le cœur de l’homme et dirige tous les événements vers la sanctification des élus ; un Dieu qui aime les hommes au point de leur donner son Fils Unique.

 

L’ensemble de ces Vérités concernant la vie de Dieu et le salut de l’Humanité constitue la Révélation, ce nom évoquant l’idée de choses cachées ou voilées et soudain mises au jour. Révélations des mystères divins qui s’est faite essentiellement par l’intermédiaire du Christ Fils de Dieu, et aussi avant Lui ou après Lui mais toujours en liaison avec Lui par des messagers inspirés : avant le Christ, les Prophètes, après la Christ, les Apôtres.

 

Les écrits sont au nombre de 72 : 45 émanant des Prophètes de l’Ancien Testament et 27 des Apôtres du Nouveau Testament.

 

La Tradition est la voix des Pères ou Docteurs qui sans ajouter à l’enseignement du Christ, jette un peu de clarté sur certains points demeurés obscurs, apporte à un texte trop concis ou trop vague les développements qui en favorisent l’entière compréhension. C’est alors qu’on parle d’évolution du dogme. Evolution qui n’est pas un retranchement de vérités périmées mais seulement une pensée plus subtile et plus claire (par exemple, la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception).

 

Un Dogme c’est le nom que l’on donne à la formulation par l’Eglise d’une vérité révélée par Dieu, inaccessible à la raison humaine, proposée à notre croyance et réclamant un acte de Foi. Lorsque plusieurs dogmes énoncent des vérités concernant un même fait, ils se groupent en un seul « article de Foi ». Ainsi par exemple, tout ce qui a trait à l’Incarnation du Verbe de Dieu constitue un article. 14 articles principaux (ou 12 selon certains) résument toutes les vérités proposées à la Foi des chrétiens. Ils sont rassemblés dans le « Symbole des Apôtres », communément appelé Credo.

 

Les hérétiques sont ceux qui remettent en cause les articles du Credo de la foi commune. En réponse aux hérésies au cours de l’histoire, deux autres « Symboles » ont été rédigés : le Symbole de Nicée » (le Credo de la Messe) et le « Symbole dit de Saint Athanase ». Ces symboles expriment en des termes plus explicites les articles attaqués par les hérésies. Symbole veut dire étymologiquement "règle de la foi"

 

 

3. L’acte de Foi

 

« Un assentiment joint à une cogitation », comme le dit St Augustin. « Assentiment », donc adhésion de l’intelligence à une pensée énoncée et connue ; et la Foi a alors ceci de commun avec la science. Mais aussi une « cogitation », c’est-à-dire une certaine agitation et délibération, sinon hésitation ; et en cela la Foi se rapproche du doute ou de la simple opinion.

 

C’est le propre de la croyance d’allier dans un même acte conviction et ignorance. La Foi est une croyance : simultanément révélation et mystère, apportant tout ensemble certitude et énigme. En effet, s’il est certain que la Parole de Dieu est véridique, les choses dont l’existence est annoncée demeurent invisibles et bien des affirmations ne laissent pas d’être déconcertantes pour l’intelligence humaine. En effet, L’homme a donc l’assurance de posséder la Vérité, mais une Vérité indémontrable. L’intelligence se repose dans une adhésion inébranlable au Dieu qui l’instruit, mais reste inquiète de ne pas comprendre tout ce qui lui est enseigné ; elle croit mais ne voit pas, elle sait mais ne saisit pas, elle tient son objet mais sans le connaître réellement.

L’"entendement", la capacité de comprendre, adhère alors à une affirmation non par la vertu de sa propre conviction mais par la volonté que subjugue une autorité non point tyrannique mais puissamment persuasive. La liberté de pensée ne subit pas une contrainte mais se soumet délibérément sous l’empire des motifs de crédibilité qui lui démontrent comme raisonnable et justifiée la confiance dans le Christ.

Tout en donnant son assentiment, l’esprit humain accepte de demeurer dans l’ignorance sur certains points et d’attendre pour plus tard des éclaircissements nouveaux : « adhésion et cogitation ».

 

Que l’adhésion relâche sa fermeté, c’est le doute qui s’introduit dans la Foi, lequel ne trouvera son remède que dans un nouvel effort de volonté pour raviver la confiance en Dieu.

Un tel assentiment est un acte vertueux s’il est délibérément consenti et volontairement exprimé : il se fait sous l’influence de la Grâce et se réfère à Dieu. Sa récompense sera la claire vision de la Vérité.

 

Attention, cette Vérité ne plaît pas toujours ; par exemple quand elle se heurte à des préjugés tenaces, heurte l’amour-propre et contrecarre des plans personnels. La volonté alors essaie de repousser la Vérité ; pire la volonté se dresse contre la Vérité la portant à ne pas croire. Si la Foi est un don gratuit, l’homme a le triste pouvoir de refuser ce bienfait de Dieu, de résister à la Grâce.

 

Finalement, l’acte de Foi est un acte intérieur qui se traduit par des paroles ou des gestes. D’une part, l’acte de Foi, explicite et à haute voix devient une obligation pour le chrétien dont les croyances sont attaquées. En présence des négateurs, le silence serait lâcheté et trahison. Ainsi, les martyrs témoignent du courage qu’ils ont eu à « confesser leur Foi ». D’autre part, « on vit comme on pense » : une Foi sincère apparaît dans l’ensemble de la vie. De quoi servirait une croyance toute théorique aux vérités divines, qui n’aurait aucune répercussion sur la vie pratique ?

 

 

4. Effets de la Foi

 

La Foi est pour l’âme humaine un « habitus », une bonne habitude.

La Foi prédispose à la vie éternelle et l’inaugure, car elle procure « la substance des choses que nous espérons pour l’avenir ».

Cette vertu intellectuelle s’accompagne aussi d’un mouvement du cœur. Croire à Quelqu’un, on peut s’y décider par raison mais combien plus doux est-il de le faire par amour. La Foi découvre en Dieu, un Souverain Bien et un Bien qu’une Bonté inépuisable est avide de répandre sans mesure. Dès lors, l’amour naît tout de suite de la Foi et à son tour il la stimule.

 

La Foi est à la vie surnaturelle ce qu’est la raison à la vie naturelle. Elle découvre la route et dirige la conduite. La Foi commande toutes les vertus : l’espérance et la charité. Comment en effet attendre ce qu’on ignore ? Et comment aimer ce qu’on ne connaît pas ? Que signifieraient enfin les préceptes moraux sans la Foi : une âme loyale observe ce que Dieu prescrit.

 

De spéculative, la Foi devient pratique : elle s’épanouie en ascèse, signe tangible de la crainte de Dieu ; crainte référentielle qui n’est pas la peur du Juge mais l’attention délicate de ne pas contrister un Père. Une crainte qui rassure en face des puissances adverses : qui pourrait jamais me séparer du Dieu auquel j’ai donné ma confiance et mon amour ?

 

L’âme de Foi est d’une sérénité stupéfiante, appuyée sur la confiance aux promesses de son Dieu, si bien fixée dans l’essentiel et l’éternel que l’accessoire et le temporel ne font plus que l’effleurer.

 

 

 

II. Les dons correspondant à la Foi

 

1. Le don d’intelligence

 

Un maître ne se contente pas de jeter son enseignement mais il essaie d’ouvrir les esprits de ses disciples, de les rendre plus réceptifs. Un ami livre les secrets de son cœur et est soucieux de les faire comprendre.

 

Dieu est à la fois un maître et un Ami pour les hommes. C’est pourquoi au don de la Foi qui incline l’esprit humain à accueillir avec confiance les Vérités énoncées, Il ajoute le don de l’Intelligence qui procure une certaine connaissance expérimentale. « Goutez et voyez la douceur du Seigneur », dit le Psalmiste. Le voile du mystère ne tombe pas tout à fait mais il devient en quelque sorte translucide. Dans cette clarté, l’intelligence humaine éprouve une conviction si forte qu’elle semble une évidence ; non point évidence d’intelligibilité, puisqu’il s’agit de mystères, mais évidence de crédibilité. Le don d’intelligence (« intus legere » lire de l'intérieur, lire avec sa tête et son coeur) aide à bien lire, et à pénétrer le donné révélé, (le contenu de la Révélation).

 

Le don d’Intelligence est aussi celui de l’intelligence de la Sainte Ecriture. Comme deux esprits, à mesure que s’accentue leur familiarité réciproque, finissent par mieux se comprendre, ainsi l’esprit humain se familiarise avec l’Esprit de Dieu, avec ses pensées si hautes et ses expressions si énigmatiques : « Seigneur, donnez-moi l’intelligence pour scruter votre Loi et vos oracles », implore le Psalmiste.

 

 

2. Le don de Science

 

Le don de Science ne se confond pas avec le don d’Intelligence. Il vient non plus faire pénétrer le sens de la Parole divine, mais faire connaître la création, miroirs des attributs de Dieu, et tremplin d’où les âmes prennent avec Lui leur envoi.

 

Ce que découvre le don de Science, ce n’est pas la constitution des créatures, leurs relations entre elles ou leur utilité pour l’homme dans le domaine matériel, mais plutôt les effets palpables de la Bonté de Dieu et l’usage qu’il convient d’en faire pour répondre à ses desseins.

Participation à la Science de Dieu, il permet de juger sainement de toutes choses. Le Don de Science prédispose à contempler le Dieu agissant « par l’intermédiaire des choses visibles, jusqu’aux choses invisibles » !

 

 

III. Les Vices opposés à la Vertu de Foi

 

               

Les chrétiens sont appelés « fidèles » de « Fides », qui désigne les hommes dotés de la Vertu de Foi. Ceux qui ne partagent pas la Foi chrétienne, ou « infidèles » ne sont pas toujours responsables si cet état résulte de leur d’ignorance : ils n’ont pas refusé d’entendre la Vérité révélée mais ils n’ont eu aucun moyen d’en être informés. Ils ne sont alors pas coupables.

1. Le Vice d’infidélité

 

Il en est autrement de l’homme qui entend clairement la Parole de Dieu et qui refuse de la retenir ou de celui qui l’ayant momentanément accueillie, la rejette ensuite et renie sa croyance. Le premier est l’incroyant c’est-à-dire celui qui est conscient et volontaire, trop orgueilleux pour admettre une vérité qui ne vient pas de sa propre raison. Le second est l’apostat dont les passions s’insurgent contre la Vérité.

 

Ceux qui ne repoussent pas en bloc tous les enseignements de la Foi mais sélectionnent des dogmes, rejettent l’autorité de l’Eglise et insultent Dieu sont des hérétiques. Ceux qui adhèrent à la Révélation mais qui repoussent l’autorité visible du Christ sont schismatiques en ce qu’ils refusent d’être soumis humblement à la Voix de Dieu.

 

 

2. Conséquences de l’Infidélité

 

Incroyant et apostat sont moins « athées » qu’ils ne le prétendent. Ils savent, ils sentent bien que Dieu est ; mais pour eux Il est un gêneur. Ils en viennent alors à se persuader que Dieu n’existe plus ou du moins qu’il n’y a plus lieu de tenir compte de sa présence.

 

L’infidèle ne peut arracher du cœur humain le besoin inné de croire à un être supérieur, de se rattacher à une autorité plus haute que la raison, d’entrer en contact avec l’au-delà. Ce qui arrive alors c’est que le vrai Dieu, à peine éliminé est remplacé par de faux dieux ; à la Foi succèdent les superstitions, parfois la magie et la sorcellerie. Chez ces incroyants qui se targuent d’indépendance d’esprit et de « libre pensée », quelle floraison de croyances à la fatalité ou aux puissances occultes, aux bons et aux mauvais sorts, aux fétiches porte-bonheur…

 

 

IV. Les préceptes concernant la Foi

 

La Foi suppose la confiance. Et la confiance ne se commande pas…

Lorsque quelqu’un a fourni la preuve de sa compétence et de loyauté, point n’est besoin d’un précepte spécial ; la confiance naît d’elle-même. Elle est commandée sans formule explicite, par une autorité suave et silencieuse, qui excelle à obtenir le consentement volontaire en excluant toute pression.

 

C’est pourquoi Dieu n’a pas commencé par dire aux hommes : « croyez en Moi, je vous l’ordonne » ! Il a d’abord fait connaitre son existence, puis peu à peu révélé sa nature du Pur Esprit infini et éternel, Créateur et Providence de l’univers. Alors a éclaté sa « Véracité ».

 

A ceux dont Il fait ses interprètes, anges ou hommes, Il a procuré des signes bien visibles. Son Christ a toujours clairement démontré qu’Il était l’Envoyé de Dieu et qu’Il ne parlait qu’en Son nom. Vus d’un esprit droit et d’un cœur loyal, ces faits inspirent confiance ; ils prédisposent à écouter favorablement, à donner son consentement sans tout comprendre : c’est l’amorce de la Foi...

In Initiation à la Théologie

de Saint Thomas d'Aquin

R. P. Raphaêl Sineux O. P.

Desclée et Cie 1979

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